Tuesday, November 22, 2011

Le Phénix - étude

Depuis quelques semaines, j'avais de la difficulté à me remettre au travail.  L'esprit était plutôt fixé sur d'autres aspects de la vie tel que le déménagement de ma mère dans un nouvel appartement dans un résidence avec services;  le tri de ses affaires, une accumulation d'une longue vie rendue dans 40 boîtes entreposées dans un lieu anonyme et triste.   De retour à l'atelier, une première neige sur le sol, je décide de me lancer un défi technique.  


Déjà, je savais que je voulais broder du bleu et de l'or, en soie fine.  Je cherche un dessin.  Je trouve un motif dans le catalogue du Japanese Embroidery Centre, 2005, le phénix, symbole de la longévité, un dessin très détaillé.  Je le trace, et le retrace,  le temps de me familiariser avec les formes à l'intérieur du motif, le temps de visualiser couleur, technique et effets de ce mariage de fibre, forme, texture et couleur.





Après cette analyse où je décompose et recompose, je choisis les fils, cette fois-ci, les Pipers 90, deux brins dans l'aiguille.  Pour l'or, les fils Kreinick #1.  Il y a un documentaire à la télévision sur  Woody Allen;  j'écoute et je brode;  j'apprends et je crée.   Pendant ces deux heures, tout est parfait.

Saturday, November 12, 2011

Pavots d'espoir




            Au mois de mars 2011, ‘Sweet Mickey Martelly’ fut élu president d’Haïti. Est-ce que ce vote représentait un changement majeur, un vote d’espoir pour l’avenir de ce pays?  Depuis le tremblement de terre de janvier 2010 qui a dévasté une grande partie de l’île et la vie de tous ceux qui y habitaient, le pays ne semblait pas être sorti de son malheur et désespoir.    Il y a encore un demi-million de personnes qui sont logées dans les tentes, faute de moyens pour reconstruire leur vie.

            Je regarde certaines de mes broderies.  Mon regard se pose sur les pavots brodés pendant les premiers jours de la tragédie.  Je suivais attentivement les nouvelles.  C’est par  hasard que j’avais choisi ce projet la veille de la catastrophe.  Le dessin se trouvait sur ma table de travail depuis quelques semaines et c’était vers 20h00 du 11 janvier que j’eus envie de le broder

             Les points se plaçaient sans difficulté sur le fond et rapidement, je voyais les premières pétales prendre forme presque trop facilement. Encouragée par la clarté et la précision de l’ensemble de mes points, je decidais d’aller me coucher espérant que j’allais réussir à retrouver cette meme facilité dans mes doigts le lendemain.  J’avais hâte de reprendre mon aiguille.  La nouvelle qui nous réveilla était bouleversante.


            D’habitude, Dame Nature est une grande source d’inspiration pour mon travail de brodeuse.  Ce matin-là, c’était tout le contraire.  Je me suis mise au travail pour oublier le drame qui se déroulait en Haïti.  J’écoutais les nouvelles en brodant.  La deuxième fleur prenait forme;  il n’y avait que du rouge et du noir dans ma palette de couleurs.  J’ajoutais un peu de blanc, le reflet du soleil, mais pour la plupart du temps, les fils de soie rouge se déroulaient de la bobine afin de se trouver fixès dans la forme de fleur.  C’est à ce moment-là se fit le lien entre mon travail et les évènements qui défilaient sur l’écran de télévision.  Mon aiguille avec ses fils rouges et noirs traduisaient par la soie ce que les haîtiens vivaient,  la dévastation, la mort.  Je m’attaquais au centre de la fleur, le centre qui ressemblait à une petite cabane grise – le coeur de la fleur, le coeur de la tragédie, entouré d’ombres, le désespoir d’un peuple.


 
            J’avais besoin de changer de couleur, il y avait trop de rouge, trop de sang, trop de tristesse.   J’ai décidé de commencer à broder une tige, du vert, technique simple;  la tige, donnant de la stabilité à la fleur, une ancre sur laquelle elle peut s’accrocher pour pouvoir avancer;  image d’un enfant solitaire se promenant, perdu parmi les décombres, à la recherche de ses parents, ensevelis sous les briques.  Je commençais une autre tige, un vert plus clair, donnant plus de lumière à la broderie, et un peu d’espoir pour cet enfant et pour Winnie, la petite fille de 16 mois, qui a été sauvée après avoir vécu  près d’une semaine sous les ruines. 

Je continuais mon travail, les journées passaient.  Les points trouvaient leur place sur le tissu sans difficulté.  Je perdais la notion du temps.  Je terminais le premier pavot; j’avais l’impression qu’il flottait seul sur le fond de lin. 

Tout n’était pas perdu, d’autres vies seront sauvées.

Je me sentais impuissante dans mon atelier trop confortable.  On envoie de l’argent à la Croix Rouge;  c’est trop facile. C’est un geste qui ne répond pas aux besoins réels du moment.  Je me faisais une idée que mes efforts de terminer cette pièce, devenue symbolique, s’ajoutaient aux efforts de la communauté internationale qui se rassemblaient pour apporter de l’aide.  Je commençais à broder une autre fleur, sans le centre, simplement des pétales cachant d’autres pétales.  Je n’étais plus certaine de ma technique, est-ce que mes efforts allaient rendre l’effet voulu? Tous ces équipes qui arrivaient de partout dans le monde, est-ce qu’ils allaient pouvoir s’impliquer et comment?  Il semblait que les instances internationales se retenaient afin de pouvoir mesurer l’ampleur de cette tragédie et de décider quelles démarches à prendre pour garantir le maximum d’efficacité.



Le 21 janvier, une autre secousse terrorise un peuple déjà à bout de force.  Je finissais la dernière fleur, encore du rouge, encore du sang, encore des vies perdues. 


Il fallait commencer à analyser les feuilles; il y en avait tellement, des petites, des grandes,  toutes entremêlées, quelques unes qui s’enlaçaient autour des tiges épineuses.  Comment donner de la perspective?  Où est la source de lumière?  Je voyais toute de suite la métaphore, les êtres humains sous les décombres, qui cherchaient désespérément la lumière, l’air,  la vie.  


Miraculeusement, des gens étaient sauvés dix jours après le tremblement de terre.


J’ai terminé cette pièce le 23 janvier 2010, le même jour que le dernier rescapé fut arraché à la mort.


Aujourd’hui, je regarde toujours cette pièce en pensant à ce drame.,    Elle a pour titre:  Pavots d’espoir.   Bien que toute broderie évoque une histoire souvent personnelle,  celle-ci est impregnée de signification plus large que mon propre monde. 


La pièce est toute simple, mais ce qui est tissé entre les points, ce témoignage d’un long moment pénible vécu à distance, ne l’est pas.  Ce fut ma manière de l’exprimer.


'L’oeuvre est le mémorial de lieux et de temps promis à la disparition ou déjà disparu'   (Benjamin 1991)